Dans le sens du sang

Sur la feuille d'un arbre, toute jaunie par le temps, s'installe le dieu de l'hiver. Il baille de fatigue, se gratte le menton d'ennui et pète de temps en temps. Il s'allonge en pensant. Il ne sait plus quoi faire maintenant. L'attente a trop duré. Devrait-il foncer?

Il aime bien s'allonger. Son ventre transparaît. Ses mains derrière sa tête, il a un peu oublié tous les évènements de la journée. Il n'y a plus que l'instant. Qui pèse. Qui apèse. Il ne sait plus quoi faire de ses dix doigts.

Il a peur du jour où le soleil le mettra définitivement au chômage. C'est déjà arrivé. Il y a longtemps. Mais il est tellement vieux et pourtant tellement jeune que tout semble comme un rendez-vous d'une heure. Passé, oublié.

Il se rappelle du temps où le vent le caressait et lui faisait tout oublier. Mais dernièrement ça devient plus difficile. Le vent passe et n'emporte rien. Il pleure si souvent. Se sent vide et détruit. Il tombe des feuilles où il se prélasse. Il a le coeur sanglant. Il pleure si souvent.

La tristesse décore son front d'un grand bouquet de lauriers vieux qui sentent la chicha. Il marche comme un réverbère, la tête plus claire que le corps, effrayé par le moindre bruit. Il était fort. Puissant. Sans peur. Le moindre mouvement le fait sursauter. Comment parvenir à la fin de la journée.

Il tremble de peur. Et il pleure. Il veut tomber dans un trou. Il veut disparaître. Il veut devenir une goutte comme toutes ces gouttes. Pourquoi changer les saisons, pourquoi se casser la tête et les pieds à transformer le monde aussi souvent, pourquoi se fatiguer si lui ne peut pas s'installer et pleurer dans le silence de sa petite solitude, se noyer dans ses larmes, puis flotter jusqu'au fond de la rivière rose, verte qui happe les âmes des hommes perdus? Pourquoi survivre quand la mort ouvre sa bouche comme une rose désireuse et joue à la féline? Pourquoi transmettre la vie quand ses entrailles mêmes crient de douleur, que son corps gras, qu'il transporte, le dégoûte, que ses mains sans forme le répugnent ? Pourquoi quand l'univers lui murmure avec son vide intemporel toutes sortes de phrases séductrices, puisque le vide sidéral l'appelle et lui lèche l'oreille? Puisque l'histoire s'engouffre dans ses os et le prends dans un futur qu'il sent et renifle ? Pourquoi quand ses mains ne tiennent plus, que la mort le pousse, que la vie le dégoûte, pourquoi quand tout semble faux et que tout sent la faux, que tout l'attaque sans le toucher, pourquoi quand les touches lui font mal, quand les marches lui échappent, qu'il trébuche et tombe pendant des heures pour se retourver mort, presque mort, ensanglanté et chagrineux au milieu d'une marre de sang, pourquoi s'entêter à se relever? Quand dormir dans son sang lui donne un tel plaisir, pourquoi se relever, pourquoi ne pas s'affamer et sentir cette douleur le dévorer ? Pourquoi ne pas manger sa chaire? Se nourrir de sa dégeulassitude? De sa lassitude? Peut-il manger sa fatigue? Chier sa mort par l'anus? Retomber dans la pauvreté de son esprit qu'il ne nourrit plus? Ce pauvre esprit et ce pauvre corps qu'il torture parce qu'il ne sait plus ce qu'il veut et qu'il reste hésitant même lorsqu'il le réalise.